Les Pages Jèrriaises

L'Histouaize d'un grand procès
en deux parties

Le Jour de l'Élection


Enfin le Lundi vint, falli se mettre à cuize
Tout chan que nou zavait acatait le Samdi,
Le Comiti Cabot fut à l'auberge dize
Y ne faut pas vos endormi.

Ou savais que demain est le jour de bataille;
Ce seza don pour vous un grand jour d'embarras,
Pelais vos pommesdeterre et bouillis la mangeaille
Car y nos en faudra des tas.

Si vos manque sait pliat, ticle, bachin, castrolle,
Verre à bièze ou à vin, fourchets ou coutiaux,
Y zen ont siès Le Sueux, Binet, Gruchy, Nicolle,
Au Probitèze ou es Cams-Raux.

Y vos faudra de pus une tapaie d'assiettes,
Mais pour quant au fricot, soignis qui sait bain cui
Et si pour les Messieurs y vos faut des serviettes,
Allais au Juge Le Bailli.

Un tas de goudaleurs sezont là de la ville,
Grands-goulus, gros-ventrus, affamais, morts-de-faim.
Laissis-les gommâchi pour les gardé tranquille,
Mais soignis qui n'empaûtent rain.

Enfin j'nos zen allons, soignis que rain ne manque
J'avons deux ou trais vouais qui faut allé cherchi,
Benest du Poncèsouais et Douozait de la Plianque
A d'main Missis Le Mazuzi.

Ou viyis, tout était en ordre,
Nou n'attendait que le mot d'ordre,
Pour vais qui sezait le pue fort,
De l'ancien chef de la police,
Du vier sergent de la milice,
Soudard du Regiment du Nord;

Ou bain de chet autre penfêque
Venu de la Ville-à-l'Evêque,
Et qui tout bouonnement pensait,
Fut par esprit ou par bêtise,
Qu'il allait méné à sa guise
Et les Trinntais et la Trinntait.

Le Mardi matin, de bouonne heuze,
Maite Jean avait sautait du liet,
Car y faut, ditti, que je queuze
Pour vais si tout est prépazait.
Il est grand temps que je me paque,
Aiguie mé vite a mé sauvé;
Nos gens, apportais ma casaque
Mes neuves braies et man chapé.

Un coup rigui notre anmin scode
Et pour le shed y va tout drait,
Fallait le vaie. La guergnié mode
Chès qu'il était bain êquipait.
Y dit: le temps a bain laie mine,
Mais pour Janvi y n'est pas frait,
Mais tout de même y s'enhazine
J'ézons des ragrôtons engniet.

A l'auberge dans la cuisine,
Maîte Jean vint, s'assit tout seu;
Il avait ma fé triste mine,
Quand nou vit entré Mess du Feu,
Qui dit y faut se mettre à table,
Garçons, soignie de bain mangi;
Car j'attendons le Connétable
Qui vain ove le Juge Gruchy.

Sitôt que la tabliais fut pliaine,
Y se minrent tout en travas;
Y mangeaient pue que Saliveine
Ou qu'aucun ogre ou Gargantuas,
Ne mettant fin à la partie,
Rain que pour s'en allé voté;
Quand dans la rue quic'un s'écrie:
Maîte Jean est nommé Député!!

Vive Cabot, s'écrie la foule:
Garçons, criais: Vive Cabot!
Et le cri va de goule en goule,
Car nou ne peut le crié trop!
Nou zavait fait une tunette,
Et sue sa tête nous la mins,
Et pis nous zempli sa pouchette
De pain-d'janjîvre et de chucrins.

Un juge était là qui se lève
Et dit: Trinntais, écoutais mé,
Angniet est la fin de mon rêve,
De vais Jean Cabot Député!
Chès le pue biau jour de ma vis;
Je le dis à tout électeur;
Un vier Trinntais qu'était là crie:
Nou prends-tu pour Mouïse Poteur!

Lanmin Flippe
11/5/1872


 

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