La Section de la langue Jèrriaise

Rimes et Poésies Jersiaises

de divers auteurs
Réunies et mises en ordre
par

A. Mourant

 

Rimes et Poésies Jersiaises

Préface

En mes loisirs j'ai recueilli çà et là les productions qui composent ce recueil bien incomplet; mais qui ne laisse pas d'offrir un certain intérêt. Il s'y trouve des morceaux d'une grande originalité. J'en ai exclu les pièces qui, sous le rapport du style, n'avaient pas une valeur suffisante, et n'ai conservé que celles écrites en Jersiais plus ou moins pur.

C'est M. Matthieu Le Geyt qui le premier s'est essayé dans notre idiome. Il a fait des choses assez belles. On peut s'en convaincre en lisant ce morceaux : Adraisse est chains de la Vingtainne du Mont-au- Prêtre, etc.

Vient ensuite M. Robert-Pipon Marett qui a écrit sous le pseudonyme de Laelius. Je veux ici réparer une omission faite dans le cours de l'impression de cet ouvrage. Ces quatre pièces : L'amouoreux La Fille Malade, Le Vier Garçon et Les Vieilles Filles, qui ne portent pas de signature, sont de sa plume.

Qui ne connaît La Fille Malade ? François-Victor Hugo frappé de la beauté de ce morceau, l'a reproduit dans sa Normandie Inconnue. Comme l'auteur a bien compris le langage de l'habitant de nos campagnes, et l'a écrit avec simplicité !

Vos vlà, vaisine, à vos prom'ner,
Ch'est miracle' que' d'vos rencontrer!
Non n'vos trouv' jamais par les rues,
Comme est qu'i s'fait qu'non n'vos vait pus ?
Ah! chest qu'dépis qué ma Nancy
Est si pouôr'ment j'nai peu sorti :
Quand ou m'aidait ch'tait bain ocquo,
Mais à ch'teu, tout me cheait sus l'co!
Mon dou'! mon doue! ah ! la ! la ! la !
Et qu'est donc qu'ou mé contez là !

Si j'avais à choisir entre ses nombreuses compositions j'accorderais la préférence à La Fille Malade. Il en est d'autres que je dois citer. Quelle vérité dans la Picagneresse! Quel naturel dans le Vier Garçon! La Bouonne Femme et ses Cotillons, a un sens politique très bien exprimé. Le Grounneux est un type vrai. En un mot les productions de M. Marett sont du plus beau style et du meilleur goût ; elles surpassent tout ce qu'on a écrit en Jersiais.

Les pièces de M. Henri-Luce Manuel qui signe L. tiennent beaucoup de place dans ce recueil. Elles n'ont pas le même caractère que les autres. Il a abordé le genre élegiaque que personne n'avait tenté avant lui, et il a très bien réussi. Dans I' n'y a rein qui sait seur' dans chutt' vie, et Leignes a m'nefant qui vein d'muori il y a des vers d'une grande beauté.

Tout est fini! La Vallée de la mort
La v'là passée. Le souffrant ach'teur dort.
Pus d'cris, ni r'gards, ni termes d'agonie !
N'ya pas à souffri iou, n'yia pus la vie.
O, Gieu Merci!
Tout est fini.

Les Heures sont pleines de grandeur, L'apprèche de la mort, La Fin ne la cèdent en rien à celles déjà citées. Enfin Le Sounneux dédié au celèbre artiste Hongrois, Edus Reményi, est d'une grande originalité.

Il ne faut pas oublier les P'iaintes d'une vieille tante a Mai, du jeune Le Touzel.

D'autres noms doivent être cités ; Mademoiselle Esther Le Hardy qui fait des choses originales : Les longues patouilles de Robes, les Airangnis etc.; Mr. Philippe Asplet qui a chanté dans trois jolies pièces les Trintais et la Trintait ; enfin M. Philippe De Faye qui sous le nom de Juvenis a fourni un petit morceau qui s'encadre bien dans ce volume.

Tous ont écrit en amateurs. C'est ici le produit de leurs heures de loisir et de délassement. Il ne faut donc pas juger ce volume avec trop de sévérité. Sans doute il y a des lacunes à remplir, mais qu'importe ? N'est-ce pas déjà quelque chose de posséder un petit monument de cet idiome qui tend chaque jour à disparaître ?

 

A. M.

Ce 30 Mai 1865.

 

 

Notices, mémoires et documents publiés par la Société d'agriculture, d'archéologie et d'histoire naturelle du département de la Manche (1926)

M. Davodet fait une communication relative au « Dialecte normand dans les Iles de la Manche ». - Il débute ainsi : " Ecrit, il y a plus de vingt ans, le modeste essai, dont je m'excuse de vous donner lecture, n'est que l'amorce d'un travail beaucoup plus complet que je me propose d'entreprendre et que j'espère mener à bonne fin, dès que les loisirs de ma retraite me le permettront. Tel que, cet essai me paraît présenter un certain intérêt pour les amoureux de notre vieux patois normand, qui reflète si bien le caractère du pays et de la race.

« Mes divers voyages à Jersey m'ont permis de constater - et je m'en réjouis de tout coeur - que nos Cousins des Iles ont pieusement conservé le culte de leurs traditions et de leur vieux langage : c'est la plus sûre garantie de leur indépendance. Comme le proclamait éloquemment à Saint-Hélier, en mai 1923, M. Pilon, l'éminent Doyen de la Faculté de Droit de l'Université de Caen, lors des inoubliables fêtes du Cinquantenaire de la Société Jersiaise, qui coïncidaient avec la Semaine du Droit Normand, nous pouvons, nous Normands du Continent, aller nous retremper au sein de ces fières populations de Jersey, Guernesey, Sercq et Aurigny, car elles sont sans contredit plus normandes que nous.

" C'est le plus bel éloge qui puisse être fait de ce vaillant petit peuple des Iles, si courtois, si hospitalier qui, à travers les vicissitudes d'une histoire déjà vieille de plus de sept siècles,- depuis la confiscation de la Normandie par Philippe Auguste sur Jean sans Terre, en 1204, a su garder si jalousement ses franchises et ses libertés. »

Après ce préambule,. M. Davodet analyse un rare et curieux ouvrage paru à Saint-Hélier en 1865 et portant ce titre modeste : « Rimes et poésies jersiaises de divers auteurs réunies et mises en ordre par A. Mourant. Jersey. Philippe Touzel-Falle, Libraire-Editeur, 8, Place Royale ». Le Recueil comprend environ soixante morceaux formant 250 pages. Aucune des pièces publiées n'est sans valeur. Toutes, à des degrés divers, présentent de l'intérêt. M. Davodet fait remarquer que si le patois guernesiais paraît se rapprocher beaucoup de celui de la Hague, ce qui s'explique par la situation géographique des deux pays, par contre le patois de Jersey offre une analogie frappante avec la langue parlée entre Carteret et Granville. En d'autres termes, il réunit et fusionne les deux accents si particuliers du nord et du sud de l'arrondissement au sud.

M. Davodet lit quelques fragments des pièces les plus intéressantes qui composent l'ouvrage de M. Mourant. A draisse es chains de la vingtaine du Mont au Prêtres par un vingt'ny. Naguères d'un apte paraisse. La visite de la Reine en Jerry. - La Fille malade (François-Victor Hugo, frappé de la beauté de ce morceau, l'a reproduit dans sa Normandie inconnue). - Le R'tou du Terre Neuvi, pièce toute vibrante de sentiment et particulièrement émouvante,, où l'auteur montre combien l'amour maternel, est profond et vivacé chez les populations de nos côtes. - Leignes à M'n'éfant qui vient d'mouri - où la mère éplorée trouvé sa consolation dans l'espoir de revoir au Ciel son fils disparu. - Les Piaintes d'une vûle tante à mei - dans lesquelles une vieille jersiaise déplore l'abandon des campagnes et l'invasion des Iles par des étrangers. - La Catte effarouchie, en Jersiais et en Guernesais, M. Davodet termine son étude par un vibrant éloge de nos Cousins des Iles, hardis navigateurs, en cela, dignes héritiers de leurs ancêtres, les audacieux pirates venus du Nord.

Société d'archéologie et d'histoire de la Manche

 

 

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