La Section de la langue Jèrriaise

Les Îles Anglo-Normandes - plutôt “anglo” ou plutôt “normandes”?


 

Papi liu par Geraint Jennings à eune conféthence entouor les “langues collatérales” à Amiens en Picardie 21 au 24 d'Novembre 2001

 


La situation actuelle, l'histoire, et l'avenir du Jèrriais, langue normande de Jersey, menacé à la fois par l'anglais et le français, langues officielles de l'île.

Pourquoi sauver le Jèrriais? Comment en même temps sauvegarder le français, dont la position officielle est menacée par l'anglais?

Les résultats de trois ans du programme de l'enseignement du Jèrriais dans les écoles, et la revalorisation de la langue.

La co-opération avec le guernesiais et le normand continental: l'union, fait-elle vraiment la force? Serait-il possible ou même souhaitable de co-ordonner le développement linguistique des langues d'origine normande? Quels seraient les avantages et les inconvénients d'une éventuelle “unification” linguistique normande?

Les néologismes: faut-il accepter des anglicismes ou imposer des gallicismes? Faut-il co-ordonner l'adoption de nouveaux mots avec les Guernesiais et les Normands continentaux?


 



Il y quelque temps l'Office du Jèrriais a reçu une demande pour des traductions de la part d'une compagnie commerciale qui possède plusieurs supermarchés dans les Îles de la Manche (que les Français appellent “Îles Anglo-Normandes”).

Cette compagnie, par motivation publicitaire, a décidé d'afficher des panneaux bilingues dans ses magasins à Jersey et à Guernesey. Mais les employés anglais de la compagnie nous ont dit à l'Office du Jèrriais qu'ils avaient rencontré des difficultés parce que les Guernesiais et les Jersiais offraient des opinions différentes en ce qui concerne les traductions.

Séyiz les beinv'nus à Jèrri Eh bien, il nous a fallu expliquer à ces messieurs anglais qu'il ne s'agit pas d'une différence d'opinion mais d'une différence de langue. La compagnie avait proposé de se servir de la même salutation aux entrées des magasins: “Bian-v'nue”. Malheureusement, c'est du Dgèrnésiais – langue de Guernesey. En Jèrriais – langue de Jersey – on dit “Séyiz les beinv'nus”, ce qu'on voit affiché actuellement en arrivant à l'aéroport et aux gares maritimes de Jersey, et dans les brochures de l'Office de Tourisme de Jersey.

En effet, c'est un moyen sûr de se transformer en objet de risée à Jersey – afficher du Dgèrnésiais sur ses magasins.

Il y a une rivalité historique entre Jersey et Guernesey – plutôt de bonne humeur. Les Jersiais se moquent du Dgèrnésiais: chez nous, on aime “chanter” et “danser” et à Guernesey on aime “chàntaï” et “dànsaï”. “Au revoir” à Jersey se dit “à bétôt” et à Guernesey “à la perchoïne”. À Jersey on se moque des diphthongues du Dgèrnésiais. Et les gens de Guernesey à leur tour se moque de nous et de notre “th” intervocalique:

Quelques exemples: “poireau” dans notre langue est “pouothé”, “oreille”, c'est “ouothelle” et la bière est “la biéthe”.

On se moque, bien sûr, mais on se comprend. Cependant on fait une distinction entre les deux langues. Pour nous, le Jèrriais est une langue et à Guernesey, le Dgèrnésiais est une langue également. À l'île de Sercq, il existe le Sèrtchais, mais l'Aur'gnais, langue d'Aurigny est morte depuis des décennies sans avoir jamais laissé une littérature.

La semaine prochaine, c'est les Séthées Jèrriaises (Soirées Jersiaises) de l'Eisteddfod de Jersey - grand concours culturel annuel. Officiellement le concours de récitation et chanson en Jèrriais s'appelle “Normand” - mais seulement le Jèrriais est permis. Assez bizarre, mais il y a des raisons historiques.

Comme on dit chez nous, dans la grand' tèrre, c'est-à-dire en Normandie continentale, on voit les langues d'une manière différente. Selons les activistes continentaux de la langue normande, il n'y a qu'une langue normande que l'on parle selon sa variété locale, que ce soit le haguais, le cauchois, le normand de Jersey, le normand de Guernesey, étc.

Face au besoin de se faire reconnaître par l'État, ceux qui parlent le normand continental prétendent l'unité d'expression normande. Les gens des Îles de la Manche sont, et cela va sans dire, plus insulaire. On est là, on a son gouvernement autonome, on a ses propres lois, on a ses propres billets de banque et pièces de monnaie, et on a sa propre langue.

Et en effet, si les normands insulaires et continentaux sont unis par leurs langues, il sont à la fois divisés par leurs langues. Les langues indigènes des îles de la Manche se trouvent sous la pression surtout de l'anglais (langue majoritaire) et du français qui reste officiel. Le normand sur le continent a été masqué, caché et dévalorisé face au français et la politique linguistique de l'État français.

Dans la Normandie insulaire, c'est plutôt une politique de libéralisme économique et l'afflu de milliers d'anglophones en cherche d'emplois qui a menacé l'existence même des langues insulaires.

Actuellement, Jersey a une population de quelques 87,000 dont la moitié immigrée. Selon le recensement de 1989, il y avait moins de 6,000 personnes qui parlaient le Jèrriais.

Guernesey a une population de 59,000 personnes dont deux mille personnes, semble-t-il, parlent le Dgèrnésiais - mais la question n'a jamais été posé lors d'un recensement.

Un carton d'lait

Mais, la langue voit une renaissance ou au mains une revalorisation chez nous à Jersey. Moi qui vous parle aujourd'hui, je suis employé comme co-ordinnateu assistant d'l'ensîngnage du Jèrriais à l'Office du Jèrriais au Département d'Éducation des États de Jersey. Depuis trois ans, on est chargé d'assurer des leçons du Jèrriais dans les école primaires de l'île, et depuis deux ans, dans les écoles secondaires aussi. Actuellement, il s'agit de deux cents enfants qui apprennent le Jèrriais comme matière facultative.

Le parlement de Jersey, les États de Jersey, avaient été convaincus de la valeur de lancer un programme d'enseignement à la suite du succès du programme dans l'Île de Man - encore une île britannique autonome qui a sauvé sa propre langue celtique qui est parenté avec l'irlandais et l'écossais.

Pour commencer, l'Office du Jèrriais a emprunté le méthode d'apprentissage du Manx, mais maintenant on développe ses propres matériaux. On a offert ses matériaux aux Guernesiais et aux Normands continentaux s'ils veulent les adapter. On a le problème, cependant, que nos matériaux sont destinés à des étudiants qui ont pour la plupart, l'anglais comme langue maternelle - mais dans la grand' tèrre, il s'agit bien sûr d'enfants dont la langue maternelle est le français.

Ceux qui parlent le Dgèrnésiais n'ont pas le même soutien parmi leurs parlementaires que nous avons à Jersey - mais quand même on est reconnaîssant que la situation est meilleure dans les îles autonomes qu'en Normandie française.

Mais pourquoi cette autonomie? On dit chez nous, que les Îles n'appartiennent pas à l'Angleterre, c'est l'Angleterre qui nous appartient. Les Anglais ne nous ont jamais conquis, c'est nous, les Normands, qui avions conquis les Anglais en 1066 quand notre Duc Guillaume le Conquérant est devenu roi d'Angleterre. Et toujours est-il que la Reine Elizabeth II est pour nous Duc de Normandie – Duc, jamais Duchesse! En 2004 on fêtera chez nous huit cent ans d'autonomie sous la Couronne. Après le rattachement des terres normandes continentales au Royaume de France, le Roi Jean d'Angleterre a offert une constitution aux îles qui restaient fidèles à la Couronne. Nos lois sont votées par nos parlements, et nos taxes sont de nos affaires – et je dois dire en tant que contribuable c'est loin d'être un paradis fiscal!

À tous ceux qui...

Mais le Royaume Uni, dont on ne fait pas partie, n'a jamais pu imposer la langue anglaise. On se servait de la langue française pour la religion – et ce qui explique le manque d'une Bible en Jèrriais – et pour la loi. Notre système de loi est toujours basé sur le Coutumier Normand, et bien que les textes des lois soient en anglais depuis les années 30 du vingtième siècle, les contrats de propriété restent en français. Mais il ne s'agit pas du français dit métropolitain. Le français officiel de Jersey est un français régional – par exemple, officiellement “quatre-vingt-dix” se dit et s'écrit “nonante” tandis qu'en Jèrriais on dit et écrit “nénante”.

Il y a cent ans, l'anglais était permis pour les débats au parlement pour la première fois. Aujourd'hui, seulement les cérémonies d'ouverture de séance, les prières parlementaires et les votes sont en français; Les Députés, les Sénateurs et les Connétables continuant toujours à voter “pour” ou “contre”.

Mais l'anglicisation s'est imposée par le commerce pendant le dix-neuvième siècle et surtout par une immigration importante d'Anglais, d'Irlandais et d'Écossais à la suite de l'introduction de bateaux à vapeur et chemins de fer liant les ports anglais avec les îles. Les menaces d'invasion française avaient plus strictement lié les îles avec la Grande Bretagne pour des raisons de défense.

Face à l'anglicisation, les défenseurs du français ont voulu supprimer le Jèrriais afin de maintenir la langue française. L'ironique, c'est qu'aujourd'hui ceux qui travaillent pour que le Jèrriais vive sont parmi les plus grands supporters du français officiel. Mais le Jèrriais était supprimé dans l'éducation jusqu'à une époque récente. Parler le Jèrriais à l'école, c'était même puni parfois et l'enseignement du Jèrriais était défendu selon une motivation qui prétendait que, disons, apprendre le Jèrriais empêche la maîtrise du français. Mais les résultats de cette politique ont été catastrophique. Après cent cinquante ans de notre système d'éducation on a transformé une population en principe trilingue dans une population plus ou moins unilingue, donc anglophone. Traditionnellement, on parlait des “trais langues” – c'est à dire des trois langues, français, Jèrriais et anglais. Les anglophones, ne comprenant aucune différence entre le Jèrriais (ou le Dgèrnésiais) et le français, ont considéré qu'il s'agit d'une langue de paysan indifférenciée et que l'avenir, c'est l'anglais.

Mais pourquoi sauver le Jèrriais? Et nous sommes déterminés de le sauver. Pour moi, c'est l'héritage et la littérature. En effet, je suis de famille anglophone et c'était la littérature, les histoires et les contes, qui m'ont attiré à la langue quand j'étais jeune. La tradition littéraire chez nous remonte à Wace, poète anglo-normand né à Jersey au 12ième siècle, auteur du Roman de Rou et du Roman de Brut. Les écrivains surtout au dix-neuvième siècle se considéraient les héritiers de la tradition de Wace – mais on ne trouve pas beaucoup de littérature à Jersey avant le début du dix-neuvième siècle. Et la raison pour ça est assez incroyable: il n'existait pas d'imprimerie à Jersey avant 1784.

La Crouaix du Millénnaithe à St. Hélyi

En effet, l'église se servait de matériaux imprimés en Angleterre, en France ou à Genève. Et l'administration était locale à une telle mesure qu'il ne fallait que douze copies de tout document administratif. Donc l'imprimerie n'était pas nécessaire pour l'exercice des fonctions administratives soit gouvernementales, soit ecclésiaistique dans l'île et ce n'était qu'avec l'arrivée de nouvelles idées populaires religieuses et politique vera la fin du dix-huitième siècle que l'on a importé la technologie. Après quoi il y avait une explosion de matériaux imprimés – des journaux, des almanachs, des affiches politiques – surtout en français, mais puis en anglais et en Jèrriais.

La publication de poèsies en Jèrriais à Jersey et en Dgèrnésiais à Guernesey dans la première moitié du dix-neuvième siècle a apporté les littératures de ces langues à la grand' tèrre – et on reconnaît l'influence des auteurs insulaires sur la renaissance littéraire normande sur le continent, premièrement dans le Cotentin avec qui les liens de transport maritimes étaient les plus importants à l'époque.

Pendant le dix-neuvième siècle on trouve des poésies Dgèrnésiaises republiées dans les journaux de Jersey, et des poésies Jèrriaises republiées à Guernesey. L'influence des auteurs continentaux sur les écrivains des Îles de la Manche à l'époque est moins claire, mais l'échange culturelle est évident de nos jours.

Depuis des années La Fête des Rouaisouns circule par les territoires du Duché de Normandie, l'année passée à Guernesey, cette année à Coutances, l'année prochaine à Jersey – et on y présente les littératures et les cultures normandes.

En parlant de la Fête des Rouaisouns, je vais noter que c'est une exemple d'un manque de communication entre les Normands: Le titre de la fête ne signifie rien aux insulaires. “Rouaisouns”, c'est un mot du normand continental qui veut dire “rogation” – fête religieuse de remerciement pour la récolte – mais ce mot n'est pas compris chez nous où les populations sont majoritairement et historiquement protestantes.

Et voilà un problème pour l'avenir des langues. Il n'y a pas de mécanisme pour co-ordonner ou diriger le développement ou la normalisation des langues.

Chez nous à Jersey, on est plus avancé sur la voie de l'enseignement de notre langue qu'à Guernesey ou que dans la grand' tèrre, et on a été obligé donc d'adopter des normes pour les écoles en chouaisissant un dialecte standardisé pour toutes les écoles. On mentionne les différences entre les dialectes dans les différentes paroisses de l'Île, parce que bien sûr les familles et les voisins des enfants parlent comme ils parlent – et les enseignants même parlent eux d'une manière différente. Mais il était impossible de produire des matériaux dans les différents dialectes pour chaque école.

Rue de Derrière

On mentionne le Dgèrnésiais et le normand de la grand' tèrre pour montrer et expliquer l'existence des ces langues cousines et la communauté culturelle – mais on est chargé d'enseigner le Jèrriais. On a même introduit l'idée de l'existence du gallo, du picard et du walon et d'autres langues régionales et minoritaires pour montrer que ce n'est pas tout le monde qui ne parle qu'une langue.

Avec nos liens d'intérêt commun avec l'Île de Man, on a fait des échanges d'information avec nos homologues là: les enfants qui apprennent le Manx étudient quelquechose au sujet de Jersey et sa langue, et nos enfants Jersiais apprennent quelquechose au sujet de l'Île de Man et de leur langue, malgré la grande différence entre notre langue d'oïl et leur langue celtique. Mais l'important c'est la situation constitutionnelle des deux îles, dont les gouvernements soutiennent l'enseignement de la langue traditionnelle, et la situation analogue des petites langues face à l'anglais.

On espère commencer de la communication - par e-mail ou par carte postale - entre nos enfants et des enfants dans des classes du normand dans le département de la Manche, mais n'ayant pas d'homologues dans la grand' tèrre l'Office du Jèrriais y trouve des difficultés.


Et on a été obligé d'introduire de nouveaux mots - de la lexique moderne, ce qui ne plaît pas toujours à la vieille génération qui considère souvent qu'il ne faut pas se servir de mots qui ne sont pas inclus dans le Dictionnaire - un dictionnaire qui a été publié dans l'année de ma naissance, 1966. On se sert de l'Internet, du Web - comme on dit “l'Ithangnie”, les jeux d'ordinateur - comme on dit “les gammes dé compiuteu”, et on a introduit des abbréviations pour les téléphones mobiles - “des téléphones dé pouchette” afin que les enfants puissent passer des messages de texte en Jèrriais entre eux.

Mais on a introduit ce vocabulaire sans parler aux Guernesiais ni aux Normands de la grand' tèrre. Et vraiment l'introduction de nouveaux mots reste au hasard. Il n'y a pas de comité pour proposer ou décider les néologismes. Dans l'Office du Jèrriais on fait circuler nos matériaux afin que les experts puissent faire leur commentaires et suggestions. Mais on rencontre le problème que les experts sont logiquement des personnes plutôt agées qui ne comprennent pas la technologie moderne ni les gadgets préférés des enfants.

Et il y a bien sûr des questions chaudes: prenons par exemple lé compiuteu. La majorité de ceux qui parlent le Jèrriais dit lé compiuteu, une minorité préfère l'ordinnateu - et il n'y a pas d'accord entre les deux partis.

Mais cela évoque encore une question. Dans les langues normandes des Îles de la Manche c'est évident que beaucoup de mots sont empruntés à l'anglais, mais par contre dans la grand' tèrre on emprunte évidemment au français. Et ce depuis des siècles. En Jèrriais il y a beaucoup de mots domestiques empruntés à l'anglais à l'époque quand les grandes familles anglophones de la ville employaient des servants qui parlaient le Jèrriais. Ce contact avec le vocabulaire du travail domestique à l'anglaise a enrichi le Jèrriais. Quelques exemples:

 
ticl'ye bouilloire, qui vient de l'anglais tea-kettle
ouachinner laver en frottant dur qui vient de l'anglais washing
scrober frotter à la brosse qui vient de l'anglais scrub
scrobinne-broche brosse de chiendent qui vient de l'anglais scrubbing brush
bliatchinner cirer des souliers qui vient de l'anglais blacking
pôqueur tisonnier qui vient de l'anglais poker

En effet, l'histoire de la langue d'oïl de Jersey, influencée par le français, par l'anglais et par la situation constitutionnelle autonome a fabriqué quelque chose de particulier. Serait-il possible ou souhaitable d'entreprendre une unification des langues normandes, si on risque de perdre le caractère même de ces langues.

On pourrait conclure que si la langue traditionnelle des Jersiais est le Jèrriais, langue normande – cette langue est à la fois langue britannique. Et si la langue va survivre, ce caractère anglo-normand doit se développer. Mais comment co-ordonner ce développement avec les autres communautés d'expression normande, c'est une question pour l'avenir – et surtout un avenir dans lequel le normand continental sera soutenu et encouragé par l'état français.

Les Îles Anglo-Normandes: plutôt anglo ou plutôt normandes? On pourrait espérer que dans une Europe de régions, elles auront la possibilité de rester à la fois anglo et normandes.

 

 

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