An extract from an article by Professor Spence, followed by a commentary on certain points raised in the article
Le déclin des parlers régionaux est un phénomène quasi universel. La différence entre ceux des îles anglo-normandes et ceux de la Normandie est que ceux-ci se francisent progressivement au contact de la langue nationale dominante, tandis que ceux-là, qui ont mieux gardé leur caractère "normand" grâce à l'histoire particulière des îles, risquent de disparaître complètement, engloutis par l'anglicisation.
Maintenant qu'il semble être bien,tard, on veut à tout prix sauver «notre héritage normand» et «notre langue nationale». Il est vrai que la campagne n'est pas nouvelle. Un legs d'Arthur Balleine, décédé en 1943, a permis la fondation du Don Balleine, créé pour la défense et la conservation du jersiais, qui a publié un certain nombres de livres destinés à la préservation des parlers, notamment le richissime Dictionnaire jersiais-français de Frank Le Maistre, qui a consacré sa vie à la défense et à l'étude du jersiais, et Lé jersiais pour tous, une grammaire rédigée par un jeune Anglais, Paul Birt. Une association locale, L'Assembliée d'Jèrriais, a publié en jersiais, tous les trimestres entre 1952 et 1977, un Bullétîn d'quart d'an, qui a été remplacé à partir de 1979 par les Chroniques du Don Balleine et ensuite par les Nouvelles chroniques du Don Balleine. Ces publications n'atteignaient pas le grand public, mais une campagne visant les parents des enfants dans les écoles primaires, soutenue par les médias locaux et par quelques membres des états, a réussi à faire voter des fonds pour des cours facultatifs de jersiais, d'abord dans les écoles primaires (1999) et ensuite dans les écoles secondaires (2000). Malgré l'optimisme des organisateurs de la campagne et des cours, il est difficile de voir ce que tout cela peut donner de durable. Selon des lois datant de 1889 et 1912, le français est encore toujours une matière obligatoire dans les écoles primaires de Jersey, sans que la plupart des jersiais en aient tiré grand profit. Pourquoi en serait-il autrement avec des leçons facultatives de jersiais d'une demi heure par semaine données en général par des gens qui n'ont souvent aucune formation pédagogique, et visant souvent une forme écrite qui ne correspond guère à la prononciation très variable du jersiais? Il est triste que le jersiais soit en voie de perdition, mais, même avec un enseignement bien plus poussé, on ne pourra créer des personnes de langue maternelle jersiaise.
Bien qu'on ait réussi à faire inscrire le jersiais sur la liste de «langues minoritaires», et à placer «le français des îles anglo-normandes» parmi les «langues menacées», les enthousiastes locaux ferment aussi les yeux sur la réalité lorsqu'ils prétendent que le jersiais, ou «le français des îles», est une langue indépendante. Une comparaison avec les parlers normands du Cotentin montre à quel point ils sont tous solidaires. Évidemment, le jersiais a des traits qui le distinguent de tous les autres parlers mais cela est vrai de tous les parlers, autrement il n'y aurait qu'un seul parler normand *. Qu'on parle si l'on veut d'une «langue normande», et beaucoup de linguistes hésiteraient à le faire, mais qu'on accepte alors que les parlers des îles en fassent partie, autrement on sera forcé de multiplier à l'infini le nombre de «langues».
On dit qu'il y encore des patoisants de trente ans environ à Jersey, et il est donc prématuré de parler de la mort du jersiais, mais, sans transmission de leur génération à la suivante, il n'a pas tellement longtemps à vivre, en dehors des bancs d'école. Quel est le sort probable des parlers continentaux? Il est impossible, pour quelqu'un qui ne les connaît que par les livres, de répondre avec autorité à une question pareille, d'autant que les opinions exprimées par les Normands eux-mêmes sont contradictoires. Certains sont fort pessimistes, d'autres pensent que, dans certaines régions rurales au moins, les parlers ne se portent pas trop mal. Ce qui a certainement changé, en Normandie comme à Jersey, c'est le sentiment que les parlers du terroir n'ont pas d'importance, qu'ils gênent «le progrès». On veut partout sauver l'héritage du passé, mais il me semble qu'on a attendu trop longtemps dans les îles. Sur le continent, les parlers bas-normands ont sans doute été contaminés par le contact constant avec le français de l'école et des médias, mais il est peut-être encore temps de sauver quelque-chose; ils ne sont pas encore, comme ceux des îles, menacés de mort violente.
Nicol SPENCE.
* Le jersiais est presque le seul parler normand à conserver une différence entre in et ain/ein, et le seul dans lequel l'r latin en position intervocalique ait généralement abouti au son th de l'anglais mother. Le r a pourtant subi des phénomènes dans d'autres parlers qui montrent que l'articulation de cette consonne est souvent faible en normand, par exemple l'amuïssement qu'il a connu en sairais. On est souvent étonné de retrouver plus ou moins les mêmes évolutions dans les parlers jersiais et cotentinais, telles les palatalisations secondaires de k et g devant les voyelles palatales e, i et u, les diphtongaisons secondaires de ê, ô et ou, et, phénomène plus inattendu, le rhotacisme (transformation en r) du l mouillé qui a atteint, par exemple, les mots «yeux» et «genoux» en jersiais (iers, j'nouors) et dans certains parlers bas-normands, par exemple en haguais (uers, j'nouers). Cela montre que, s'il y a des divergences entre le jersiais et d'autres parlers, il y aussi des convergences surprenantes.
Pris de l'article « Le sort de la francophonie à Jersey », Revue de l'Avranchin et du Pays de Granville, juin 2001, tome 78, No 387
Professor Spence has been, of course, an opponent of compulsory Jèrriais classes within the school curriculum (Jersey Evening Post 1/10/1998). It is therefore surprising to read his attitude to the inadequacy of the provision in schools. It is unclear from this article whether Professor Spence thinks that there should be more Jèrriais in schools or less.
Professor Spence also seems to criticise the Jèrriais teaching team. He fails to make clear that the teaching materials are devised by qualified Jèrriais-speaking teachers, even if not all the Jèrriais-speaking teachers at the chalk face are qualified as such. Professor Spence also fails to suggest where qualified Jèrriais teachers are to come from, given that the training programme has only just been in a position to start.
Professor Spence's comments on the teaching materials also suggest that the standard writing system should not be used. He does not explain what sort of writing system should be used instead - presumably one devised especially for teaching purposes, or the phonetic script used in his Glossary of Jersey-French. But surely this would have the effect of cutting students off from the existing community of Jèrriais speakers, from the existing corpus of literature, and from the existing written Jèrriais in use (newspapers, Internet, signs, publications, etc.)
Professor Spence's most surprising assumption is that the point of Jèrriais classes in schools is to create a generation of native speakers of the language. The fallacious nature of such an assumption can clearly be seen if we compare with other modern languages, such as French. Would anyone claim that the intention of French classes in schools is to create native speakers of French ? Hardly, I would suggest.
The worth of Jèrriais classes in schools is surely that it gives students access to sources of information written in Jèrriais - whether those be historical source texts or literary texts. Should students be denied the linguistic skills that will enable them to access the body of Jèrriais literature on the grounds that they are not native speakers? Would anyone deny students access to English literature or French literature or Russian literature on the grounds that schools were not thereby creating generations of native speakers ? Should those who might wish to have access to historical sources written in Jèrriais be denied the necessary linguistic skills ? The whole article - and not merely this extract - skates over the value of literature. As a linguist, Professor Spence is undoubtedly entitled to his expert opinion on linguistics, but to draw conclusions about the value of education without considering the merits of literary study would seem to weaken his entire argument.
Professor Spence's article might have acquired greater depth if he had discussed the issues raised with those responsible for implementing the Jèrriais teaching programme. The absence of such discussion leaves the basis for his assumptions fundamentally weakened.
To consider the comments on whether Jèrriais is an independent language or not, Professor Spence has concentrated on the purely linguistic question without considering the full sociolinguistic situation. It is said that a language is a dialect with an army : if a dialect with its own government and literary history and speakers who consider it a language is not a language, what language is ? And if this should lead to an infinite multiplication of languages, as Professor Spence seems to fear, to what extent does this matter ? In any case, we are dealing with a situation in which a label of « langue jèrriaise » or « langue jersiaise » has been applied and understood for at least 150 years. Professor Spence seems to suggest that the labelling of Jèrriais as a language is some sort of recent campaign, but, to pick a reference at random, see the reference to « langue jersiaise » in La Nouvelle Chronique de Jersey 30/1/1867. And even Victor Hugo wrote : « Quand au patois, c'est une vraie langue, point méprisable du tout. »
Geraint Jennings
Office du Jèrriais
Févri 2002
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