La Section de la langue Jèrriaise

La Grève de Lecq

Littératures et cultures populaires de Normandie
Guernesey et Jersey

par
Roger Jean Lebarbenchon

 

 

« La langue jersiaise »

La Grève de Lecq

L'expression est de F. Le Maistre dont le Dictionnaire Jersiais-Français illustre excellemment le vocabulaire de son île. « La langue est plus qu'un moyen de communication, affirme la « Note des Éditeurs » de ce dernier ouvrage, car elle est dépositaire de la vie et de la pensée d'un peuple ».

On doit observer qu'aucune étude phonétique, morphologique et syntaxique de caractère scientifique n'avait été entreprise pour décrire le jersiais avant 1977, date de l'enquête de P. Brasseur pour l'élaboration de L'Atlas linguistique et ethnographique de Normandie. Comme la production de l'île fut remaniée, dans ses republications, par F. Le Maistre, on s'en tiendra ici à quelques indications de ce dernier sur le caractère majeur du jersiais. Il s'agit du r intervocalique prononcé th, proche de la consonne anglaise. Cette particularité s'observait spécifiquement à Saint Ouen et à Sainte Marie, c'est-à-dire au nord-ouest, tandis qu'à Saint Martin (mais dans une certaine partie de son territoire), ce r se prononce s ou z, F. Le Maistre s'est interrogé sur ce phénomène sans pouvoir l'expliquer, il daterait du XVIe siècle. L' auteur du Dictionnaire Jersiais-Français, Saint Ouennais lui-même, applique scrupuleusement à l'écrit cette transformation, même à des textes du passé qui n' avaient pas nécessairement cette caractéristique. On signalera en outre que les articles du Dictionnaire offrent nombre d'indications de variations phonétiques et lexicales d'une partie de l'île à l'autre et que la rubrique «La conjugaison des verbes» constitue un remarquable ensemble de référence sur la morphologique verbale.

Naturellement, marqué par le français puis par l'anglais, le jersiais a évolué. Les citations faites plus loin le montreront à l'évidence. En même temps qu'il s'affaiblissait avec la tendance naturelle à se rapprocher du français, il reculait de manière constante devant la langue des Britanniques, celle du commerce et des affaires. Ceux qui en avaient les moyens firent bientôt élever leurs enfants dans les écoles anglaises de sorte que depuis le début du présent siècle, la situation du jersiais est de plus en plus menacée. Selon F. Le Maistre, il n'y avait, en 1950, qu'une centaine d'individus à parler seulement le jersiais et une centaine à ne pratiquer que le jersiais et le français alors que la moitié de l'île parlait aussi bien l'anglais que le français; à cette date, dix mille habitants étaient en mesure d'employer les trois langues.

Depuis, l'emprise de l'anglais a été si forte que seulement une dizaine de jeunes gens de moins de trente ans sont maintenant capables de parler convenablement le jersiais. Quant au français, il est de moins en moins pratiqué. L' article de F. Le Maistre intitulé «En vouaie d'recensement d'langues en Jèrri» expose ce qu'était l'emploi, il y a vingt-cinq ans, de chacun des idiomes à l'église, à l'école et à la Cour royale, On trouvera tout au long des chapitres suivants d'autres indications relatives à cette évolution linguistique et aux efforts entrepris pour la retarder, notamment de la part de L'Assembliée d'Jèrriais fondée en 1951.

 

Les sources

On a remarqué que la littérature guernesiaise se caractérise, en particulier, par ses oeuvres et ses éditions au XIXe siècle.

De ce point de vue, la production jersiaise diffère de sa voisine dans la mesure où, au XIXe siècle, seule à peu près, une anthologie, celle de Mourant, entre dans la catégorie des oeuvres éditées. La majorité des auteurs de cette étude ont publié dans des journaux, almanachs ou bulletins. La Patrie (fondé en 1850), La Chronique de Jersey, La Nouvelle Chronique de Jersey, Les Chroniques, journaux de langue française, ainsi que les almanachs portant les mêmes titres, comportèrent souvent des chroniques en jersiais. Les deux séries de textes republiés par Pitts (en 1883 et 1886 ou 1887), The Patois Poems of the Channel Islands et surtout Le Bulletîn d'Quart d'An d'l'Assembliée d'Jèrriais sont enfin les sources les moins difficiles d'accès. La collection de ce dernier bulletin fournit, on s'en rendra compte, d'irremplaçables renseignements sur notre sujet d'étude.

Quoique composé hâtivement et comportant de nombreuses coquilles, l'ouvrage d'A. Mourant, daté de 1865, et déjà signalé au début de cet ouvrage, est extrêmement précieux dans la mesure où il nous conserve des textes maintenant introuvables, en particulier ceux de Matthieu Le Geyt, Robert Pipon Marett, Henry Luce Manuel, Le Touzel, Esther Le Hardy et Philippe Asplet. Dans sa préface, l'auteur précise : « En mes loisirs, j'ai recueilli, çà et là, les productions qui composent (cet ouvrage) bien incomplet (...) Il s'y trouve des morceaux d'une grande originalité, J'en ai exclu les pièces qui, sous le rapport du style, n'avaient pas une valeur suffisante, et n'ai conservé que celles écrites en jersiais plus ou moins pur ». Il conclut avec modestie . « Il ne faut pas juger ce volume avec trop de sévérité. Sans doute, il y a des lacunes à remplir, mais qu'importe? N'est-ce pas déjà quelque chose de posséder un petit monument de cet idiome qui tend chaque jour à disparaître ?» Mourant avait bien raison. Il faut l'imiter.

S'il est vrai que la présente recherche a pu patiemment exhumer des bibliothèques jersiaises bon nombre de textes et, je le redis, que le Bulletin d'Quart d'An est un instrument de travail indispensable, il est probable que d'autres textes pourront être retrouvés grâce à l'examen exhaustif des petits journaux du XIXe siècle. En attendant, on appréciera de lire, dans les chapitres suivants, quelques bons échantillons de cette littérature oubliée.

 

(Extraits)

 

 

 

 

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