Ils ne sont pas tous morts les sorciers de Jersey,
Au moins à ce que dit le savant Laffoley;
Quand il a regardé dans son livre magique
Il sait défaire d'eux la plus bizarre trique.
Si quelqu'un, dans la nuit, fait danser des chevaux,
Il prend de la grande herbe & leur flatte de dos,
Puis marmotant tout bas quelques mots dans son livre,
C'est ainsi qu'il guérit tous ceux qui sont pour ivre;
Il guérit les pigeons, les poules, les Canards,
Et fait du bien aux gens dans les mauvais regards.
Il est vrai que tandis qu'une fille est pucelle
Le Sorcier qui la tient est très souvent rebelle,
Et qu'il ne lâche pas sa prise tout d'un coup,
C'est comme une brebis dans la gueule du loup;
Puis quand c'est un tendron que pourroit alors faire
Un vieillard decrépit et presque octogenaire?
Le Sorcier à sa voix est comme l'aspic sourd,
J'en savois long aussi quand je faisois l'amour,
Je voyois des bijoux, je voyais des grisettes;
Mais, hélas! maintenant je porte des lunettes,
Et je sais bien par moi ce que peut le vieillard:
Quand nous faisons du bien c'est par un grand hazard,
Importun souvenir, que tu me fais de peine!
Jeune, j'étois galant; vieux, j'ai la courte haleine;
La nuit couchant tout seul toussant & créhollant,
La Pousseresse aussi qui me vient en dormant:
Belles, ceci n'est pas vous offrir le remède
Qu'un docteur comme il faut nous a dit qu'il possède.
Je n'aurois jamais fait si je comptois mes maux,
Mais de les publier il n'est pas à propos.
Je fais pourtant par fois, le croiroit-on? des songes,
Hélas! il est bien vrai qu'ils ne sont que mensonges
Je crois par fois tenir Manon entre mes bras
Qu'ils sont courts et trompeurs les plaisirs d'ici bas!
On m'apprit, bien petit, qu'on voyait des Chats-d'ierre
Qu'un Varou s'habilloit dans la Cotte-au pâlierre
Que des gens mal vêtus, mal nourris, au grabat
Se graissoient, sendormoient, pour aller au Sabbat.
J'ouvrois, à ces recits, les yeux & les oreilles,
Ne doutant nullement de toutes ces merveilles;
Puis cela se disoit par de très-bonnes gens,
Qui, dans tous autres cas, avoient beaucoup de sens
Un jour, étant à l'eau, je crus voir la Kokanne,
Et je laissai bientôt couler à fond ma Canne:
Je montrerois encore aujourd'hui la maison,
Où l'on voyoit jadis une procession
Y pensant, couché seul, je me couvrois la tête;
Si quelque chat venoit pour me faire la fête
Je sentois mon bonnet retenir mes cheveux:
Qui seroit sage alors c'est le seul temps heureux.
Je vous donne un avis, pères, mères, nourrices:
Reprimez des enfans les erreurs et les vices,
Donnez-leur des leçons tandis qu'ils sont petits,
Mais gardez-vous sur-tout défrayer leurs esprits:
Quatre ou cinq ans après je changeai de misère,
Me fichant des sorciers j'allai chercher bergère,
Courant de veille en veille, aux bals de Cabaret,
Allant à la St. Jean pour mes amis au Vraic,
Passant complètement la marée à la Roque,
Courant la nui du Havre au Marais-à-la-Coque:
Je voyois les Sonneurs et j'y passois mon temps
A dépenser mes sous avec d'autres Errans;
Les Coqs ayant chanté, comme à leur ordinaire,
Il falloit reconduire au logis sa bergère:
Quel logis - une grange - une étable - un solier,
Pour tout meuble du foin, des bachots un panier.
Vers le coup de canon je regagnois mon gîte,
J'y dormois, mais nos gens me réveilloient trop vite,
Je me levois pourtant pour mettre mes Saucins,
Puis je faisois là-bas mon déjeun de bénins
En commençant ainsi ma premier journée
On peut fort bien juger de toute la marée;
Bientôt je m'apperçus que mes égaremens
Faisoient rire et parler toutes sortes de gens.
Je pris donc le parti de quitter mes folies,
De ne revoir Sonneurs, Veilles ni Reverdies.
Dix ans s'oient passés à ne gagner pas gros,
Mon petit revenu s'en alloit en fricots.
Enfin, pour faire court, je me mis à mênage,
Et quelques mois après je payai le Cultage,
Et puis une Cu-fère avant la fin de l'an:
Cela nous vint plutôt qu'un quartier de froment,
Je n'avois pas alors un Louis dans ma bourse,
Mais j'avois du Crédit, c'étoit là ma ressource,
Je regrettai beaucoup mon argent et mon temps
Si follement perdus pendant mes jeunes ans.
Dire comment je fis n'est d'aucun les affaires,
La chose alla son train de toutes les manières;
Mais je reprends ici le fil de mon discours,
J'ai fait, sans y penser, déjà trop de détours:
Reprenant donc ici la danse Cavaline
Je vais dire deux mots concernant la gueline.
Quand la poule fretille et chante avant le coq,
Grate sur le fumier, s'enfle, court et fait croq,
On dit à St. Aubin qu'elle est ensorcelée
Morte, on en met le coeur sous une bonne fouée;
Alors pendant deux jours Jeanne garde le lit,
C'est un fait très-certain, car en cour il fut dit.
J'étois, avant ce temps, sur ce point incrédule,
Et j'ai tourné cent fois la chose en ridicule;
Mais après ce qu'ont vu les gens de St. Aubin,
Qui ne sont pas comptés pour dire du gnolin,
Il faut sur nos vieux jours devenir raisonables,
Des témoins par serment ne content point des fables.
Par un Invalide du 2 Regiment.
Gazette de Césarée 13/2/1813
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