Conte à dormir débout
Oyez, grands et petits,
Les merveilleux recits
D'un prodige effroyable,
Qui n'est pas une fable!
Dans un jeune tendron
S'est logé le Démon.
On dit que chez les filles,
Lorsqu'elles sont gentilles,
Le Diable se plaît fort:
Le Diable n'a pas tort.
Quand une fille enrage,
Vous jugez quel tapage.
Or, celle-ci dansoit,
Juroit, prophétisoit,
Faisoit le Diable à quatre,
Vouloit toujours se battre,
Dostribuait des soufflets,
Et puis rioit au nez
Des bons Saint Aubinais.
Un jour, par fantaisie,
Son esprit qui s'ennuie
Passe dans un cheval:
Soudain, sur l'animal,
Un cavalier s'élance,
Et commence la danse.
Aprés de grands efforts,
L'esprit lui rentre au corps,
Ayant quitté la bête.
Mais admirez la fête
Qu'elle va se donner!
Pour mieux nous étonner,
S'écartant de la foule,
Elle se change en poule,
Et va sur le fumier,
Dans la cour d'un fermier
Que vite elle ensorcelle.
Puis, vole à tire d'aîle
Près de maint animal,
Et lui propose un bal.
Le bal enfin commence;
Le fermier en cadence
Saute comme un cabri.
Le beau charivari!
La poule qui frétille
Bientôt redevient fille:
Et ces mots pleins d'horreur
Exhalent sa fureur:
Où suis-je! quelle flamme!
Je brûle, je me pâme,...
Oui, c'est lui... quels transports!
Ah! j'ai le Diable au corps
Elle perd la parole,
Et dans les airs s'envole,
Sur un manche à balai.
Le fait, dit-on, est vrai,
Car gens d'esprit l'ont vue.
Avoient-ils la berlue?
La distinguoient-ils bien?
Ma foi, je n'en sais rien.
Au retour du voyage,
La voilà qui fait rage
A l'aspect de l'argent.
O miracle éclatant,
Dans le siècle où nous sommes!
L'argent, en grosses sommes,
N'épouvanta jamais
Les vrais Saint Aubinais.
Un savant qu'on renomme,
Un Quéraut, honnête homme,
Aussitôt accourut.
Mais chasser Belzébuth,
Du corps de la bergère,
N'est pas petite affaire
Pour un Docteur très vieux.
Envain roulant des yeux,
Hagards et furieux,
De la voûte éternelle,
A grands cris il appelle
La grêle et les Antans:
Envain ses hurlemens,
Du sein des rives sombres,
Ont évoqué les ombres:
Belzébuth rit tout bas
De tout ce vain fracas.
Pauvre Docteur, hélas!
Au travers ta science,
On voit ton impuissance.
Beautés, objets chéris,
Ecoutez un avis!
Si Satan vous obsède,
Je vous offre un remède
Que je porte sur moi,
N'en ayez nul effroi:
Il est fort salutaire,
Très doux quand il opère,
Et, pour votre intérêt,
Il sera toujours prêt.
Gazette de Césarée 28/11/1812
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