6 Janvier 1781

 

Poetry in Jersey

 

C'est une nuit d'hiver, une nuit froide et sombre.
Les étoiles au ciel ne peuvent percer l'ombre;
Mais l'oreille attentive a surpris sur les flots
Le bruit que fait la rame au bras des matelots.
Ecoutez! Au milieu d'un ténébreux silence,
L'on entend l'aviron frappeur l'onde en cadence:
Ce n'est point là le bruit que fait, rentrant au port,
L'humble esquif de pêcheur tout joyeux de son sort;
Ce n'est point là le bruit des voiles, du cordage
Du navire marchand qui revoit son rivage,
S'allongeant aur les flots, gracieux et léger,
Quoique chargé des fruits d'un climat étranger.

Jersey! pourquoi dors-tu? La France sur tes rives
A vomi de soldats des cohortes actives.
Jersey! pourquoi dors-tu? Regards sur tes bords
S'élancer Rullecour, plein de fougueux transports.
Réveille-toi” Déjà d'une main criminelle
Le féroce étranger frappe ta sentinelle.
Réveille-toi! Déjà Corbet est prisonnier;
Déjà le drapeau blanc flotte sur Saint-Hélier.

L'Ile entière a jeté le premier cri d'alarmes,
Et chaque Jersiais a revêtu ses armes;
Tous jurent de combattre et de vengeur l'affront
Que la France a tenté d'imprimer sur leur front.
“Aux armes! c'est le cri qui sort de toute bouche:
Courons à l'ennemi téméraire et farouche,
Qui prétend sur ces bords semer d'indigne fers;
Châtions son orgueil aux yeaux de l'univers!
Jersey fut toujours libre: elle doit l'être encore.
Courons à l'ennemi! Voici venir l'aurore:
Ses feux éclaireront nos glaives triomphants,
Et notre nom sera béni par nos enfants.”

Le fort Elizabeth pourrait-il donc se rendre?
Oh! non! De son canon la voix se fait entendre.
Sur les envahisseurs il dirige ses feux.
Gémis, ô Rullecour! Dans ton coeur orgueilleux!
Tu croyais par la ruse obtenir la victoire:
Voit tomber tes projets de triomphe et de gloire.

La trompette soudain sonne de toutes parts,
Appelant au combat les bataillons épars.
Les Highlanders, campés au Mont-Patibulaire,
Sont accurus, le coeur plein d'une ardeur guerrière.
Du Mont-Orgueil aussi descendent nos soldats:
Tous vers le même lieu vont dirigeant leurs pas.
Ce lieu, c'est Saint-Hélier. C'est là, sur la Grand'Place,
Que nos fiers enemis, rappelant leur audace,
Ont arrêté leur marche et resserré leurs rangs;
C'est là qu'ils ont dressé leurs tubes foudroyants;
C'est là que Rullecour, l'esprit bouillant de rage,
Excite ses soldats, les anime au carnage,
Leur montre le butin pour prix de leur valeur,
Et de la France enfin en appelle à l'honneur.
O guerriers d'Albion, et toi, brave milice,
Venez, ne craignez rien: le ciel vous est propice.
D'un invincible ardeur soyez tous enflammés:
C'est pour la liberté que vous êtes armés.
C'est au nom de vos droits, au nom de la patrie,
Que vous allez combattre et donner votre vie:
Mais votre sang, du moins, ne sera pas versé
Sans que Jersey soit libre et l'étranger chassé.

Quel est donc ce héros qui porte blanche aigrette,
Qui guide la milice, et s'avance à sa tête?
- C'est Pierson. - Admirez son air calme et vainqueur:
Dans son oeil vif se lit sa généreuse ardeur:
Sur son front blanc et pur, sur son mâle visage
Resplendit sa belle âme et brille son courage.
Jeune, il ne compte encor que vingt-quatre printemps:
Mais, dès sa tendre enfance, élevé dans les camps,
Amoureux des lauriers que promet la victoire,
Il sait l'art de conduire une armée à la gloire.
La crainte n'a jamais approché de son coeur;
Mais ce coeur bat plus fort au seul mot de l'honneur.
Le poste du danger est celui qu'il préfère.
Là, son oeil est brillant; là, son âme guerrière,
Pendant que de son bras il sème la terreur,
Trouve un digne aliment à sa noble valeur.
Hélas! pourquoi faut-il que la mort, dans sa rage,
Ait frappé tout d'abord ton sublime courage,
O Pierson! ait brisé ce corps jeune et si beau
Ait préparé sitôt ton immortel tombeau!

A peine ce héros, radieux d'espérance,
Suivi de nos soldats qu'anime sa vaillance,
Vers le lieu du combat s'est-il précipité;
Avant qu'aux ennemis son courage indompté
Ait montré ce que peut une épée aguerrie;
Un coup mortel l'atteint at le laisse sans vie.
Le sang s'échappe à flots de son sein généreux,
Et déjà pour toujours il a fermé les yeux.

Un long rigissement de douleur, de vengeance,
Retentit aussitôt. Brûlant d'impatience,
Nos soldats ont saisi le glaive meurtrier;
La lutte a commencé. L'acier frappe l'acier,
Se relève, s'abaisse et se relève encore,
D'un sang toujours nouveau sans cesse se colore:
La main heurte la main: le bras heurte le bras;
Chaque coup fail faillir l'éclair ou le trépas.
Ici, l'ardent Breton presse son adversaire:
Son oeil est animé d'une juste colère;
Son chos est imprévu, rapide, impétueux,
Et bientôt son rival a rejoint ses aïeux.
Là bas, ceux qui voulaient vous rendre leurs esclaves
Combattent sans espoir, mais succombent en braves.
Oui, France, tes soldats meurent avec honneur:
Il faut rendre en tout temps hommage à la valeur.
Mais d'où vient qu'à l'instant tout le tumulte cesse
D'où vient qu'un cri de joie, un long cri d'allégresse
Est sorti tout-à-coup du sein des nos guerriers?
Jersey! pour tes enfans prépare des lauriers!
Ton superbe ennemi, dont l'ardeur téméraire
Amena sur tes bords une armée étrangère,
Qui voulait renverser ta charte et tes statuts,
Rullecour est tombé: Rullecour ne vit plus!
Contemple de tes yeux sa sanglante défaite.
Vois son corps déjà froid, vois la prompte retraite
De ses derniers soldats regagnant leurs vaisseaux,
Trop heureux de trouver leur salut sur les eaux!
O mânes des héros qui vendirent leur vie
Pour maintenir les droits de notre île chérie;
Vous, que ce triste jour vit descendre au tombeau
recevez dans mes vers un hommage nouveau.
Et toi, surtout, Pierson, enfant de la victoire,
Toi que Jersey toujours conserve en sa mémoire,
Accepte cet encens de l'immortalité,
Encens que ta valeur a trop tôt mérité.


Chronique de Jersey
Janvier 1867

 

 

Battle of Jersey

"The Death of Major Peirson", John Singleton Copley

 

 

 

 

La Société Jersiaise

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