En livrant aux membres de la Société Jersiaise ce recueil de mots particuliers au dialecte de Jersey, il nous incombe de présenter quelques brièves observations sur la composition de ce travail et sur le patois jersiais même.
Le présent recueil est basé sur un Glossaire manuscrit, compilé vers 1894 par Thomas Gaudin, membre de la Société Jersiaise, qui avait largement mis à contribution les essais importants commencés quelques années auparavant par Philippe Langlois et Augustus Asplet le Gros tous deux membres distingués de cette Société.
La révision et le développement du travail de ces hommes si compétents furent confiés en 1912 à un Comité spécialement choisi parmi les membres de la Société. Les éditeurs, réalisant combien difficile est la tâche de faire un glossaire sans lacunes d'un patois qui, à travers les siècles, a été si souvent modifié par diverses influences, se sont bornés à recueillir les mots les plus usités et ont décidé de n'inclure dans le glossaire que les formes indigènes. Sans doute on y trouvera un certain nombre de mots communs aux autres patois de la province de Normandie et des autres Iles de la Manche, mais leur inclusion n'est pas superflue, car dans l'étude comparative des patois, ce sont les nuances de prononciation qu'il importe de signaler.
Quant à l'orthographe employée, les éditeurs se sont efforcés de représenter les mots tels qu'on les prononce. Heureusement à cause de son isolement notre patois a conservé dans une large mesure sa pureté, malgré la concurrence et les influences de la langue anglaise. Ce n'est pas dire que le vieux dialecte ne se modifie pas. Il serait surprenant qu'il en fût autrement. Chaque génération oublie des mots dont se servait la génération précédente et se sert de mots inusités autrefois. On en trouvera maints exemples dans ce glossaire.
Une difficulté qui s'est présentée aux éditeurs consiste en ce que le patois jersiais diffère considérablement dans l'est et dans l'ouest de l'île. Le dialecte de St. Ouen, par exemple, varie grandement en prononciation de celui de St. Martin. On rencontre dans certaines parties de l'île des mots, des formes et des nuances qui leur sont particuliers, et dans ce glossaire on a indiqué ces variations autant que possible.
En somme ce glossaire n'a d'autre prétention que de reproduire aussi fidèlement que possible les mots jersiais qui diffèrent de ceux de la langue française, soit par l'orthographe, soit par la prononciation, ou par la signification. En beaucoup de cas des exemples de l'emploi des mots sont donnés sous forme de locutions ou de proverbes, afin d'en faire mieux ressortir la signification ou la portée. Parmi les mots du patois jersiais on rencontre fréquemment des onomatopées, imitatives et expressives, qu'on chercherait en vain dans les vocabulaires de langues cultivées.
Les éditeurs ont résisté à la tentation de discuter les étymologies des mots, reconnaissant qu'il n'y a pas de terrain plus glissant même pour les experts.
Quoique le patois jersiais ait conservé en général sa pureté, il va sans dire qu'un dialecte, peu riche en littérature, tend à disparaître. Cette littérature sporadique qui consiste en quelques contes et chansons, ne date réellement que de nos jours. Elle a été illustrée par les noms de Robert Pipon Marett, Philippe Langlois, Augustus Aspley Le Gros, Matthieu Le Geyt, Henri Luce Manuel, Philippe Asplet, Edwin John Luce et d'autres. Malheureusement il n'existe aucun manuscrit en patois du moyen âge, qui puisse nous apprendre les caractères de l'ancien dialecte de Jersey sous sa forme primitive. Il n'est guère besoin de rappeler à nos lecteurs que le dialecte de Jersey n'est nullement l'Anglo-Normand, le langage dont se servait Wace. A certains égards il en approche, mais il en diffère par des caractères essentiels.
Pour celui qui veut étudier notre patois, la suprême difficulté qui se présente, c'est la prononciation. Il n'est pas facile de lui venir en aide, mais parmi les manuscrits appartenant à la Société Jersiaise se trouvent quelques notes et observations sur la prononciation du dialecte de Jersey, rédigées en 1869, par feu Messire Robert Pipon Marett, Bailli de Jersey (1880-1884) et Président d'Honneur de la Société. Cette étude a semblé aux éditeurs si propre à éclairer le lecteur sur la prononciation correcte de notre patois qu'ils ont décidé de l'imprimer à la suite de cette préface.
Finalement il importe de déterminer la position du patois jersiais par rapport aux autres patois de la Normandie. On peut diviser la Normandie linguistique en trois régions distinctes :
1. La Haute Normandie, sur la rive droite de la Seine, jusqu'à la Picardie et l'Ile de France.
2. La Moyenne Normandie.
3. La Normandie Maritime, comprenant le Val de Saire, le Cotentin et la Hague.
Les patois des Iles de la Manche et particulièrement celui de Jersey se rapprochent le plus du patois de la Hague, tout en présentant les caractères attribués au Normand en général et maints caractères qui lui sont particuliers.
Si, comme il a été déjà remarqué, le patois jersiais tend à disparaître, il n'en est pas moins vrai que son domaine est, encore considérable. Ce patois est toujours vivant dans les paroisses rurales de l'Ile, et il y continuera longtemps encore à résister aux incursions de la langue anglaise. Quoiqu'il en soit, l'étude de notre patois a l'avantage d'éclairer nos origines. A ce point de vue elle présente une certaine utilité, et un véritable intérêt.
Préface, Glossaire du Patois Jersiais,
La Société Jersiaise 1924
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