|
Rêverie |
Quand apparaît Jersey sur la plaine liquide, Avec ses prés, ses champs, ses bosquets et ses fleurs, On pense à l'oasis, dans le désert aride, Offrant si largement ses dons à l'âme avide Et le repos aux voyageurs. Mais cette île charmante autour d'elle déroule Sa ceinture d'écueils et de rocs sourcilleux, Comme pour se garder des fureurs de la houle, Et cacher ses trésors à la cupide foule Qui brave ces bords périlleux. Je viens sur ces rochers rêver tout à mon aise, Voir l'onde courroucée et l'entendre gémir, Le flot battre en mourant le pied de la falaise, La mouette raser la côte jersiaise Et le sable agité frémir. Que j'aime à contempler cette vaste étendue Ou peut s'égarer l'oeil en sondant l'horizon, Où sans cesse le flot renouvelle à la vue Un spectacle imposant qui ravit l'âme émue Et confond la fable raison. Là, que vois-je d'abord? C'est une blanche voile Qui glisse sur les flots comme un oiseau léger; Là, c'est un mince esquif que couvre un peu de toile; Plus loin, c'est un pilote observant une étoile Qui doit au port le diriger. Plus près l'écueil blanchit la surface de l'onde Qui contre les rochers se brise avec fracas: Une gerbe d'écume en retombant inonde Les galets de la grève où court, menace et gronde La vague grosse de dégats. Chaque lame qui vient expirer sur la plage M'est un témoin muet des drames douloureux Qui se sont accomplis sur maint autre rivage: Je crois en voir toujours passer la sombre image Avec les flots tumultueux. Cependant ta fureur, ô mer, déjà s'arrête: Un petit grain de sable en limite le cours. Tu recules; tu fuis cette côte secrète. Quel rivage lointain de ton onde inquiète, Vas-tu baigner dans ton parcours? Pendant que je m'adresse à la vaque inconstante, Admirant les effets du terrible élément, Soudain l'onde revient, encor plus menaçante, Et je reste rempli de surprise croissante Par cet éternel mouvement.
P.B. |