J'entreprends aujourd'hui, sans offenser j'espère,
De causer avec vous de la pomme-de-terre.
Ce tubercule utile, et même succulent,
Vous devient un produit de gène et de tourment.
Plusieurs de vous m'ont dit que cette saison même
Ils perdront de l'argent et leur labeur extrême.
Que sa culture exige un dépens très coûteux ;
Un soin particulier ;- un travail onéreux.
Qu'enfin en poursuivant cette utile industrie,
Vous goûtez les soucis d'une inquiète vie.
Je n'ai l'intention de vous décourager,
J'aimerais beaucoup mieux pouvoir vous soulager.
L'inquiétude est triste et toujours ennuyante,
Elle chagrine même et devient affligeante.
L'Agriculture amène un état de bonheur
Si longtemps qu'elle rend l'aise à l'agriculteur !
Mais quand une culture est un emploi qui ruine ;
Devient très tracassante, - incessamment chagrine,
Le fermier doit changer un système incertain
Qui le prive de l'aise et même de son pain.
La culture, aujourd'hui, de la pomme-de-terre
Ne rend plus, dites vous, le profit de naguère,
Et qu'elle est maintenant un emploi hasardeux, -
De grande incertitude et même périlleux.
Vos jardins et vos champs cependant chaque année,
Sont remplis, au printemps, de cette humble denrée.
C'est que, me direz-vous, induits par l'espérance,
Nous plantons largement et courons notre chance.
L'espérance, messieurs, n'a jamais cuit de pain;
Et la chance ne vous promet rien de certain.
Mieux vaudrait un système, enfin quelque industrie
Qui, vous tracassant moins, vous laissât l'énergie, -
Du profit, - la santé, et même la vigueur
Nécessaire à tous ceux qui cherchent le bonheur.
Enfin pour cultiver la précoce denrée,
Vous plantez à la hâte en hiver chaque année.
En causant avec vous je ne vous dirai rien
Que ce dont je suis sûr vous accueillerez bien.
Je m'exprimerai net; je crains que la nature,
Si hâtive aujourd'hui, de votre agriculture
N'assujettisse l'île à de fâcheux revers ;
Mainte honnête famille, à des soucis divers.
Je pourrais me tromper, - être cru pessimiste,
Mais au jeu de hasard qui peut être optimiste ?
Chacun de vous admet, qu'en tous lieux, aujourd'hui,
Le commerce, en tous sens, s'est beaucoup agrandi.
Des terrains productifs, au delà de la Manche,
Environnent vos champs, et le vapeur se tranche
Un rapide passage en traversant les mers,
Chargé, pour le marché, de leurs produits divers.
De bonne heure au printemps, partout en Angleterre,
On vend le fruit précoce et la pomme-de-terre.
Vous admettez aussi qu'une plante, au printemps,
Très tendre de nature, sujette aux accidents,
Ne doit sa sûreté à l'engrais qui la force,
Mais, à l'abri propice à son produit précoce.
Jersey, je sais, contient des coins favorisés
De généreux endroits qui sont bien abrités
De gracieux coteaux dont la terre est fertile
Propre au produit précoce, à travailler facile.
Ces terrains son heureux ; on peut y hasarder
Une plante hâtive assez tôt en hiver.
D'autres endroits encor, d'assez grande étendue,
Bien placés, dont la terre est franche et bien connue,
Peuvent être, en partie, assez tôt au printemps,
Plantés à tout hasard, risquant les accidents.
Quant à la terre froide, inféconde ou très forte,
Argileuse, exposée, elle n'est pas la sorte
Que l'on doive planter pour sa précocité ;
Elle rend son produit trop tard pour le marché.
Le produit pour ces lieux, j'apprends, le plus certain,
Serait le fruit, le lait, la panais et le grain.
Sans vous donner conseil, sans offrir de système
Convenable à ces lieux,-sans l'étudier même
J'invite seulement vos pensées au sujet,
Sans oser, en détail, vous démontrer l'effet,
Que produirait pour vous un plus certain systême,
Sachant que vous pouvez le raisonner vous même.
Clement Buesnel
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