En temps de carnaval on prend double pitance
Quand viendra le carême on fera pénitance.
Aujourd'hui, mardi gras, on peut manger un boeuf,
Il faudra s'abstenir demain même d'un oeuf.
Puisqu'il n'est aujourd'hui rien qui nous l'interdise,
Accomplissons aussi la loi de gourmandise.
Pour le potage, il faut que j'en fasse l'aveu,
Je n'en admets aucun sinon le pot au feu.
Dans toute la Saintonge après cet exercice,
Aux huîtres que l'on sert on joint une saucisse.
Un bon civet delièvreest ensuite le mets
Qui doit être le plus loué par les gourmets,
Et puis l'on se ferait un éternel reproche
Si l'on ne mettait pas un chapon à la broche:
La truffe le farcit, mais nous accepterons,
Quand elle fait défaut, de modeste marrons.
Et la salade? Il faut qu'elle se constitue
D'un pied de chicorée ou de blanche laitue;
Et le régal sera, j'ose dire complet,
Si l'on donne, au dessert, un beau plat d'oeufs au lait.
Mais non, il manque encore au menu, quoi qu'on dise,
De mystère entourée une autre friandise.
Une boule de pâte où règnent des oeufs frais,
Du sucre roux, du beurre, en fera tous les frais.
Déjà l'attention des convives s'éveille,
Lorsque du vieux buffet où, mise dès la veille,
Suffisament levée on la retire enfin.
Sur la table que couvre un linge blanc et fin,
Le couvert enlevé pour faire place nette,
Pendant que l'on achève un air de chansonnette,
La ménagère en fait le dépôt précieux
Avec tout le respect qu'exige un don des cieux.
Cett pâtisserie au moins digne des anges
Nou porte du Très-Haut à chanter les louanges.
Longtemps et la Saintonge on la crut le secret,
Mais plus tard à Jersey j'en découvris l'apprêt.
La forme, comme aussi le nom est là pareille:
Là-bas comme chez nous on l'acclame merveille;
Car cette île normande entretien des rapports
Fort anciens d'un commerce actif avec nos ports,
Et lorsqu'à ses amis on prète quelque chose,
Du meilleur que l'on ait le choix toujours s'impose.
De l'âtre cependant on avive le feu:
Dans une casserole assise au beau milieu,
Du saindoux pris d'un pot qui dormait sur la planche
En liquide bouillant change sa masse blache.
C'est le moment où l'art de chacun doit briller:
Chaque convive ceint du large tablier
Attaque avec ardeur la pâte préparée.
Une parcelle en est par sa main séparée,
De la grosseur d'un oeuf, qu'à l'aide d'un rouleau
Il aplatit et rend mince comme un tableau;
Puis d'un couteau tranchant ce médaillon endure
D'être en bandes taillé jusques à la bordure:
On le saisit par là des doigts, non sans laisser
Une bande sur deux par dessous dépasser;
Alors l'opérateur conscient de son geste
Créateur,se recueille et, d'un mouvement leste,
Ouvre ses doigts fermés, et ce qu'il tient au bout
Tombe en chantant au sein de la graisse qui bout.
En moins d'une minute on voit surgir un être
Dont le corps en contours gracieux s'enchevêtre:
Son teint doré le rend à l'aurorepareil,
Et puis, ébluissant, il ressemble au soleil,
Quand glorieusement sur le friquet il passe
Et, dans un large plat où s'agrandit l'espace,
En pyramide il monte et comme un souverain
Sur ce trône s'assied radieux et serein.
O tombeau de Chéops, ô murs de Babylone;
Phare d'Alexandrie, éblouissant pylône;
Beaux temples de Diane et Zeus Olympien;
Bronze prodigieux, colosse rhodien;
Monument qu'éleva la veuve inconsolée
Du roi le plus chéri: superbe mausolé;
Autrefois vous avez étonné les humains
Par vos dimensions peu faites pour leurs mains:
Sept merveilles du monde à qui j'en veux adjoindre
Une huitième encore en proportions moindre
Mais qui seule prétend toutes vous surpasser,
Si vous parlez aux yeux, elle sans les lasser
Sait charmer tous nos sens par son parfum, sa mine,
Son bris sec, son velours: aussi doux que l'hermine;
Et cependant quand vous, sous l'injure du temps
Vous avez disparu pour les siècles restants,
Et qu'à belles dents on croque et l'on avale
Reviendra l'an suivant, à pareil intervalle,
Aussi jeune toujours et prête à nous charmer
Et désireuse encor de se faire estimer.
Mais revenons au plat où trônent nos merveilles:
Le rite est accompli. Comme un essaim d'abeilles,
Les enfants attentifs à l'oeuvre des aînés
Par lemonceau royal maintenant fascinés,
Voltigent tout autour de la reine éphémère.
De leurs petites mains ils implorent leur mère:
Qui d'un sage maintien leur accorde le prix.
Dans le partage aussi les ouvriers compris
Font honneur au dessert qui devant eux s'empile,
Doux fruit du gai travail de cette troupe habile.
Le maître du logis écartant les fagots
Apporte un vieux flacon du crû de ces coteaux,
Autre merveille encor digne de la première.
On se disperse enfin quand baisse la lumière,
Et pour quarante jours, afin de plaire à Dieu,
Aux dîners succulents on dit un triste adieu.
Pellisson
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