Le Jardin des plantes
L'été dernier, pour me distraire,
Comme un antiquaire envieux,
J'errais exilé volontaire,
Cherchant ruines et beaux lieux,
Quand, sur les haut de la colline
De Mont-Orgueil tout près voisin,
Je trouvai dormant dans un lit
D'informes pierrs de granit
Que voilait,ainsi que des tombres,
Un linceul de pierres et de ronces.
Haletant de marche et de joie
J'arrête, regarde et m'assis
Pour mieux recueillir mes esprits......
La légende se recompose.....
Voici les deux supports assis.....
La pierre tremblante et la pose
Qu'affectait un Dolmen certain......
Voilà l'autel des sacrifices
Où, après le sang des génisses
Venait couler le sang humain!.......
C'est bien un temple druïdique!
Pour côté, la chênaïe antique,
Pour dôme, la voûte des cieux,
Pour piédestal, cette montagne,
Jusqu'en Gaule et jusqu'en Bretagne
Du sein des mers frappant les yeux.....
Quand le prêtre à ses Dieux terribles
Allumait ses vivants bûchers,
De Hague à Karnac les rochers
Retentissaient de cris horribles!
Agitant sa faucille d'or,
Dénouant sa blonde chevelure,
La Druidesse, jeuneencor,
Ornée d'une blanche parure,
Montait au chêne vénéré,
Et de sa mainle gui sacré
Tombait dans lasainte corbeille....
Tout le peuple criait merveille!!!
Et l'on rapportait en chantant
L'offrande à Teutatès content!......
César voulut voir de ses yeux
Ce pays dit Mystérieux.....
A son ambition féconde,
Le futur arbitre du monde
Créait un autre continent.
A ses pas, la Gaule était courte;
L'océan entravait sa route;
Un esquif d'osier, sous le vent,
L'apporte et pour marquer sa course
L'Ile eut le nom du conquérant!
D'où vient ce most de Césarée
Que porte encore comme un trophée
Chaque endroit que son pied toucha.....
Rollo, plus tard,s'y reposa
Et fit de Mont-Orgueil son aire;
De là l'Aigle à la forte serre
S'élançait sur les Neustriens,
Et les dépouilles des Chrétiens
Qu'il jetait aux siens en pâture
Ornaient leurs lits et leur armure.
L'île était aux enfants d'Odin
Des Hespérides le jardin;
Le roi des mers la trouvant belle,
Mit à son sceptre cette perle
Qu'à ses descendants il légua.
Et ces fiers conquérants des Angles
De leurs possessions Normandes
Ont, au moins, gardé celle-là...
Objet d'envie pour notre France
Et des opprimés l'espérance!!
Toujours gand envers ses guerriers,
Rollo donne aux douze premiers
Césarée conquise en partage.
Et elle devient l'apanage
De ces vaillants Preux dont les fils
L'ornant de richesse et de gloire,
Par leur dévouement au pays
Ont rendu chère leur mémoire.
De Carteret, Le Cornu, Messervy
Revivent en eux aujourd'hui - !
Mais quel bruit vient à mon oreille?
C'est lavoix de cent travailleurs...
Ce temple muet se réveille,
A leurs chansons, à leurs clameurs.
Dans ce siècle où tout se transforme
Il faut qu'ici tout soit conforme
Au travail, au commerce, aux arts,
Il faut planter là leur bannière;
Elle aura l'abri tutelaire
Du vieux donjon, de ses remparts
Ainsi tout meurt et tout renaît...
La forêt tombe et à sa place
Un jardin du peuple remplace
La moisson d'or qui disparaît;
L'industrie dresse des écoles;
Et la frégate, à banderoles,
Sur ses verques, sur ses haubans,
Façonne à lamer les enfants...
Mais du vieux temps que l'on respectes,
Il faut qu'au moins ce dolmen reste.
C'est ton but, jeune Messervy...
Gloire à l'élu, l'ami du peuple!
L'écolier, le mousse, à l'envi
T'offrent leurs bras tendus à l'oeuvre:
Leurs directeurs intelligents
Viendront en aide à ton idée;
Marche toujours... et tous contents
De l'avoir bientôt fécondée,
Verront, à la suite du tien
Leurs noms burinés sur l'airain!
Traunel,
Professeur de langues française et latine à St.-Hélier
1867
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