S'il est une prison où de l'humanité
On admire, dans l'ordre, une noble observance,
Où, sous la grille, hélas! brille la charité
S'étendant au coupable et couvrant l'innocence;
S'il est une Prison où le captif, sans peur,
Se confie à son Dieu, sans rancune et sans haine...
Reposant en rêvant de paix et du Seigneur!...
Et ne peuvent maudire et ses fers et ses chaînes!...
Oh! C'est celle où l'on voit, hélas! le coeur humain
Prier et corriger dans sa douce pensée!
Parler au criminel, et d'une tendre main,
Réveiller tous les sens d'une masse insensée!
...Celle de St.-Hélier, où tombe un malheureux,
Etonné de ce lieu qui lui rappelle un père;
Oui, C'est elle où l'on voit dans le miroir des cieux
Briller, en suppliant, la plus douce prière!...
Entrez!... Voici la grille...! O merveille! O splendeur!
Un tapis de gazon... des fleurs que la verdure
Encadre dans son luxe au sein de la nature,
Ou les reposant sur son coeur!...
Et près du piédestal d'un terrible Cerbère,
Lion triste et géant, à la sombre paupière,
Qui veille à l'horizon;
Des roses et des fleurs, charmantes, gracieuses,
Dont on revoit toujours les coupes amoureuses
Se dessiner sur le gazon!!!
Puis, de Giffard, hélas! Oh! La douce Pléiade
Se baignant au jet d'eau qu'illustre un Naïade
Au milieur de ses soeurs,
Et Samson enchaîné, trahison d'une femme!
... Regrettant son amour, front terrible, oeil de flamme,
Au milieu de ces fleurs!...
Puis des anges romains, à l'urne cinéraire,
Anges à qui le deuil a laissé sa prière,
Le diamant de nos coeurs!...
... Et l'Enfant qui sanglotte auprès du criminel,
Et l'ange qui sourit auprès de l'Eternel!!!
... Et le tout de Giffard dont l'âme poétique
Pourrait de son ciseau
Tailler sous un portique
Ou diadème ou tombeau,
Sceptre de Rome antique
Ou Romains au berceaux!...
Voyez, voyez plutôt dans ce charmant parterre
Où le géranium efface le fuschia,
Où dans ses variétés la rose Christina
A Tom Pouce, Wellington! doux parfums de la terre,
Semble marier l'incarnat!...
Les plus belles couleurs, aux ronds les plus magiques,
Sous l'oeil du Gouverneur semblent s'épanouir!...
Un poëte-gardien à leurs tiges pudiques
Répète tout le jour: - Oh! N'allez pas mourir!...
Des lauriers et des roses,
De douces fleurs écloses
Dans un charmant enclos!
L'émail de la nature,
Lui servant de parure,
Les gazons les plus beaux!...
...Voyez encore au milieu de l'enceinte
Ce Lion qui, blessé, mais bravant le tombeau,
Laissant passer le monde où marque son empreinte,
Lui dit - Je suis Lion!... Lion de Waterloo!...
Pourquoi, faut-il, hélas! en quittant la prairie
Et le joyeux buisson et la rose fleurie,
Rentrer dans sa prison!...
Sa prison!... Oh!... Le Dieu qui la voulut sévère,
Lui donna pour Gardien toute l'âme d'un père,
Etoile à l'horizon!...
Il voulut que la fleur parfumât la souffrance
Du pauvre prisonnier, lui rendait l'espérance,
Au prix de sa beauté!
Et que tout s'éveillant sous sa douce caresse,
Aspirât son amour en donnant sa largesse
À la captivité!!!...
Honneur et salut, donc!... de tout coeur et toute âme,
À l'homme intègre et bon, ce digne Gouverneur,
Monsieur Le Rossignol, dont l'esprit ne s'enflamme
Que pour se sacrifier à la loi du Seigneur!!!...
Salut à son pouvoir, si juste qu'il corrige,
À tous ses bons Gardiens, d'honneur, de probité,
Au papillon qui vole un parfum à sa tige,
À son nom incrusté dans l'immortalité!...
Car, douce est la Prison où Justice est sereine,
Où l'on peut prier Dieu dans sa captivité,
Où l'âme rajeunit, sans douleur et sans peine,
Comme un divin rayon de notre humanité!...
Emile Delaroche
29 Août 1863
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