Saint Helier - Saint Hélyi - Saint Hélier

St Hélyi

Quelques mots sur Saint-Hélier


Laissant aujourd'hui de côté la paleontologie, je viens faire une toute petite incursion dans l'hagiographie. Je voudrais dire quelques mots d'un saint qui a donné son nom à une localité et à une famille illustre du Poulet. Les maîtres de la critique historique me pardonneront de mélanger ici l'histoire et la légende en raison de la difficulté qu'il y avait à les départager nettement et à dire en quel point précis commence l'une et finit l'autre.

Il s'agit de saint Hélier, patron depuis le IXe siècle d'une des paroisses de Rennes, patron également de la principale ville de Jersey et de l'anse si pittoresque que la mer a creusée en Rance à quatre kilomètres au Sud-Est de la Cité. Saint-Hélier a passé la majeure partie de sa vie tout près et en face de ce que nous appelons maintenant la Côte d'Emeraude, et après sa mort violente il a voulu reposer sur cette côte qui fut hospitalière à son pauvre corps décapité. C'est là, sur cette grève, à la limite séparative de Saint-Jouan-des-Guérêts et du village de Quelmer, en St-Servan qu'il manifeste encore aujourd'hui sa puissance d'une façon très particulière, inconnue peut-être à plusieurs d'entre vous. Pour ceux-là au moins, il pourra donc être agréable de connaître cette spécialité.

Saint Hélier naquit vers la fin du Ve siècle ou dans les premières années du VIe siècle en Belgique dans la ville de Tongres, illustrée par la résistance d'Ambiorix au conquérant des Gaules Jules César, et quatre cents ans plus tard, par les vertus du grand pontife Servatius, patron de la paroisse de Saint-Servan. Le père du jeune Hélier était idolâtre, et ennemi du christianisme à tel point qu'il fit massacrer un évêque qui avait réussi à instruire son fils dans la véritable religion et à le baptiser. Notre saint, chassé de la maison paternelle parcourut les régions environnantes cherchant un refuge, un cloître, un asile quelconque où il pût à son aise pratiquer toutes les plus hautes vertus de la vie ascétique. C'est ainsi qu'il arriva au monastère de Nanteuil fondé par saint Marcouf de Coutances. Après quelque temps passé dans ce monastère, Hélier désirant une plus grande solitude vint avec le moine Domard dans une petite île de la Manche qui ne comptait alors que trente habitants. L'un de ceux-ci était affligé d'une cruelle paralysie. Saint Hélier le guérit par la vertu de ses prières, et cette guérison miraculeuse assura la bienveillance des insulaires aux deux nouveaux venus. Bientôt d'ailleurs Domard se rembarqua pour Nanteuil et Hélier, resté seul, se construisit une petite cabane dans laquelle il put à son gré, pratiquer la plus rigoureuse abstinence. Aussi, quand trois ans plus tard, saint Marcouf accompagné du même Domaid vint lui faire visite, il put à peine le reconnaître tellement notre solitaire était affaibli par ses austérités.

Après le départ de ses deux amis, saint Hélier vint s'établir dans l'île de Jersey où il devait terminer ses jours. On montre encore aujourd'hui le rocher que, d'après la tradition il choisit pour demeure, là, dans la grève même, au Sud de l'île. C'est une pierre énorme que la mer entoure à chaque marée mais sans jamais la recouvrir complètement. Dans la partie inaccessible aux flots il existe une grande cavité partagée en deux parties communiquant entre elles mais presque superposées. Avec un peu d'imagination, on peut y voir comme les deux étages d'une demeure peu banale ouverte aux trente-deux vents du large mais bravant les tempêtes et exempte de contributions. Chacun de ces deux étages pouvait à la rigueur contenir un homme dans une position plutôt gênée. Enfin le rocher dans sa partie la plus élevée formait une plate-forme à peu près horizontale, d'où la vue s'étendait au loin sur la mer dans la direction de l'Est et du Sud vers les villes gallo-romaines de Coutances (Constance) et d'Alet. Cette plateforme était donc pour notre solitaire un champ d'observations, de méditations et surtout une magnifique chaire de prédication pour tous ceux qui voulaient bien l'écouter : les hommes, les poissons et les oiseaux. Saint Hélier distribuait ainsi aux insulaires le pain de la parole sacrée et ceux-ci en retour lui fournissaient les maigres aliments qui l'empêchaient de mourir de faim. Il vécut ainsi quinze ou vingt ans dans et sur son rocher et bien qu'arrivé à une extrême vieillesse il ne semblait pas encore près de sa fin lorsque Dieu l'avertit en songe qu'il était mûr pour le Ciel. L'oracle ajouta qu'il aurait l'honneur de verser son sang pour le Seigneur Jésus qu'il prêchait depuis si longtemps. En effet, trois jours après, une flotte de pirates descendue des mers du Nord vint piller et ravager Jersey, Saint Hélier s'empressa de monter sur sa chaire pour évangéliser ces barbares, mais ceux-ci n'avaient cure du sermon. « Que nous veut donc ce vieux radoteur, se dirent-ils, et ils lui coupèrent la tète. » Aussitôt, oh prodige ! saint Hélier, comme autrefois Saint Denis sur la colline de Montmartre, prit sa tète dans ses mains et la porta ainsi pendant vingt ou trente pas à la poursuite de ses assassins. Quel effet ce spectacle si extraordinaire dût-il produire sur ces barbares ?

Pour se l'imaginer, il est bon de se rappeler cette fresque si saisissante du Panthéon où un peintre de grand talent a représenté avec un réalisme effrayant la décapitation de Saint-Denis : le bourreau essuyant son épée au-dessus d'une flaque de sang qui recouvre les marches de l'autel ; le saint portant sa tète comme un reliquaire pendant que de son cou s'élancent des gerbes de feu, des rayons ardents d'un cercle nimbé qui semblent poursuivre les meurtriers. On peut croire que l'effet ne fut pas moindre ici sur les pirates qui s'enfuirent affolés. Alors le serviteur de Saint Hélier profita de leur effroi momentané pour mettre en hâte dans une petite barque le corps et la tête de son maître. Puis il essaya de s'enfuir vers Coutances en faisant force de rames. Mais la Providence avait ses desseins arrêtés et le bateau etait invinciblement entraîné vers une autre direction. Epuisé de fatigue le malheureux rameur s'endormit et la barque qui portait notre saint et était invisiblement dirigée par lui entra dans l'embouchure de la Rance. Elle passa à l'Ouest de la Cité d'Alet rasa les rochers de Bizeux et de Cancaval puis arrivée à Jouvente le courant l'emporta rapidement vers la gauche et la laissa à sec dans le fond de la belle grève de Quelmer. A ce moment le batelier se réveilla pendant que les habitants du village, étonnés de voir ce bateau marcher sans conducteur s'étaient assemblés pour s'enquérir du mystère. Le mystère c'était saint Hélier qui venait choisir ce coin de terre armoricaine pour y faire connaître son nom et sa puissance bienfaisante.

Bientôt toute la contrée environnante fut au courant de l'événement et le bruit s'en répandit rapidement très au-delà de la Cité d'Alet. La tradition ajoute que plus tard les reliques du saint furent transportées à Rennes ce qui n'est pas invraisemblable puisqu'une paroisse de cette ville fut fondée au IXe siècle sous le patronage de saint Hélier.

Quoiqu'il en soit de tous ces récits plus ou moins légendaires une chose reste certaine : c'est que après 14 siècles écoulés depuis lors, le souvenir et le culte de saint Hélier sont restés vivaces au village de Quelmer. Ce culte a un caractère particulier qu'on ne retrouve pas ailleurs. Vous savez que la plupart des saints, surtout des saints bretons, ont chacun leur spécialité. L'un guérit des maux de dents, un autre des maux de tète ou d'estomac. Quelques-uns ne dédaignent même pas de s'occuper des animaux utiles à l'homme et ils rendent la santé aux chevaux et aux bśufs. Les chapelles ou églises de Moncontour, Saint-Herbot, Carnac et autres redisent la foi du peuple dans leur puissante intercession. Saint Hélier qui a acquis la nationalité bretonne par le libre choix de sa sépulture en terre gallo-romaine à l'époque de l'émigration bretonne a aussi sa spécialité. S'il se montre secourable thaumaturge dans les cas de maladie ou d'accidents graves, il s'occupe surtout des petits enfants retardés dans leur croissance par des causes quelconques. On lui amène, et surtout on lui amenait naguère les petits enfants noués (c'est l'expression consacrée) pour qu'il les dénoue ou les délie. Pratiquement voici en quoi consistait la cérémonie. La famille Magon de Saint-Elier, possédait à l'intérieur de son enclos une fontaine dédiée au saint et coulant à ciel ouvert. C'est dans cette fontaine qu'en tout temps et à toute époque de l'année l'enfant noué était plongé pour recouvrer la liberté de ses membres. Mais, il y a de cela une centaine d'années seulement, la châtelaine d'alors craignant que ce bain froid ne fut préjudiciable à l'enfant fit murer la fontaine en laissant seulement son trop plein s'écouler dans la grève. C'est donc dans le petit ruisseau ainsi formé que depuis cette époque on baigne, je devrais dire on lave les enfants noués.

Cette coutume existe encore de nos jours et elle a des témoins vivants et authentiques. Je puis le certifier. Mais, je dois ajouter que par ce temps de philantropie à outrance les médecins font tort aux guérisseurs, simples rebouteurs ou saints en renom et il semble que saint Hélier soit en train de perdre une partie ou la totalité de son ancienne clientèle.

Quelques hagiographes actuels, et non des moindres, n'ont pas craint de dire que la croyance populaire au pouvoir spécial de saint Hélier repose sur un jeu de mots, ou sur une prononciation vicieuse de son nom. Comme beaucoup parmi ses dévots l'appellent saint Délier, ils se seraient, dit-on, imaginé dans leur foi naïve, qu'il avait le pouvoir de délier. Mais la tradition de mon village natal est tout autre ; et si on veut s'y rallier, il faut dire que notre saint a tellement dénoué ou délié de petits enfants qu'on a fini par l'appeler saint Délier.

L. Campion.
Annales de la Société d'histoire et d'archéologie de l'arrondissement de Saint-Malo
1921

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